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Groupe de Reflexion et d'Action pour le Tchad
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2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 12:16
 Tchad : les femmes peules au coeur de la lutte contre le changement climatique

Hindou Oumarou Ibrahim est issue de la communauté nomade Mbororo. En 1999, elle a créé l'association des femmes peules autochtones du Tchad, pour la protection de l'environnement et la défense des droits des nomades. Elle est aussi représentante de la région du Sahel au Comité exécutif du Comité de coordination des peuples autochtones d'Afrique. Le réchauffement climatique, elle en voit les effets au quotidien, sur le pas de sa porte : désertification, déplacements de populations, assèchement des cours d'eau et surtout du lac Tchad, avec remodelage du paysage et par conséquent extension des attaques du groupe terroriste Boko Haram, en particulier contre les femmes et les jeunes filles, au delà du Nigeria, vers le Tchad et le Cameroun.

Avec ce rêve de changer le cours des choses, elle mène depuis des années un travail de sensibilisation quotidien porté par des bénévoles qui, prenant appui sur les questions liées à l'environnement, luttent aussi pour les droits des femmes au sein de la communauté et au-delà. Un combat deux fois gagnant, dont elle parle à Terriennes, de passage à Paris.

Votre association a été créée en 1999, mais elle n'a obtenu son autorisation de fonctionner qu'en 2005. Pourquoi ?

Hindou Oumarou Ibrahim : Il est très difficile au Tchad de lutter pour la protection de l'environnement en faveur d'un peuple marginalisé. Cinq ans après la création de l'association, nous avons décidé d'ajouter la notion de « femmes » pour être enfin reconnues officiellement. Les femmes en Afrique, au Tchad particulièrement, ne sont pas considérées au sein de la société. Plus de 80% des Tchadiennes vivent en milieu rural. En ville, celles qui ont pu accéder à l'éducation, obtenir un diplôme et qui exercent un métier, n'ont pas pour autant les mêmes possibilités et les mêmes responsabilités que les hommes. Alors, lorsqu'une action est créée en faveur des femmes, les autorités locales, en majorité des hommes, n'y prêtent pas attention et donnent plus facilement les autorisations. C'est presque un avantage d'être une femme en ce sens. Surtout que nous défendons nos droits bien sûr, mais aussi ceux des hommes et des enfants de la communauté qui vivent dans cet environnement.

Quel rôle jouent les femmes peules dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

H.O.I : Dans le monde rural, chez les nomades, les femmes sont les moteurs de la gestion des ressources et de la protection de l'environnement, car leurs vies en dépendent entièrement. Au sein de la communauté, les femmes sont chargées de faire la cuisine avec ce qu'offre la nature. Elles cherchent donc à la protéger pour que les animaux aient du bon pâturage et qu'ils produisent du bon lait à vendre sur le marché. Les femmes peules connaissent parfaitement les terres et sont en première ligne pour observer le phénomène du réchauffement climatique. D'ailleurs, en 2012, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a reconnu le rôle essentiel des peuples autochtones dans cette lutte. Et le Tchad s'est engagé envers la protection de l'environnement au niveau international, en ratifiant la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) dès 1993.

L'objectif de notre association est donc de faire pression sur les autorités locales pour faire appliquer ces principes dans les politiques environnementales. Pour cela, nous avons proposé aux météorologues, bien loin de la réalité du terrain, de vivre en immersion quelques jours avec des nomades. C'est à cette occasion que ces scientifiques, une femme et quatre hommes, se sont rendu compte de l'étendue des savoirs des autochtones sur l'environnement. Cette expérience a valorisé nos connaissances pour faire évoluer la recherche scientifique contemporaine.

Par ailleurs, nous sommes une petite association qui parvient à influer sur la gestion des ressources et résoudre certains conflits internes, souvent avec l'appui des médias. Par exemple, lorsque nous rencontrons des agriculteurs et des éleveurs autour du lac du Tchad, qui sont en désaccord profond, nous proposons systématiquement à un journaliste de nous accompagner pour rapporter ces situations à la radio. Ce qui suffit le plus souvent à convaincre les acteurs du conflit de trouver eux-mêmes des solutions.

De la même façon, les journalistes révèlent aussi que les autorités n'appliquent pas les textes internationaux pour faire respecter les engagements du pays en matière d'environnement. Selon moi, la meilleure façon de faire entendre les voix des non-voix, ce sont les médias.

Quelles conséquences le changement climatique a-t-il sur le lac Tchad ?

H.O.I : Le lac Tchad est l'exemple le plus visible du phénomène. C'est une réserve d'eau douce de plus en plus touchée par la désertification. Mais c'est au Tchad qu'il reste le plus d'eau par rapport au Nigéria, au Cameroun et au Niger, les autres pays sur lesquels s'étend le lac. L'étendue d'eau a réduit de 25 000 km2 au début des années 1960 à 2500 km2 environ en 2010, alors que trente millions de personnes vivent autour, dont les nomades mais aussi des sédentaires.

Lors de la saison des pluies, on observe toujours la montée des eaux qui alimente les terres autour du lac. Mais chaque année, ces périodes d'inondation diminuent fortement. L'eau retourne à sa source après un ou deux mois seulement, au lieu de cinq voire six mois auparavant. Par ailleurs, certaines espèces animales et végétales ont totalement disparu. En parallèle, les mauvaises herbes poussent, néfastes pour le bétail. Les animaux contractent des maladies que nous ne pouvons pas toujours soigner avec nos plantes médicinales, que l'on a d'ailleurs beaucoup plus de mal à trouver dans la nature. Et certaines de ces maladies nous étaient encore inconnues il y a cinq ans.

Tous ces changements dus au réchauffement climatique, impactent fortement la vie des communautés, mais aussi celle des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs. Les conflits internes sur les ressources disponibles ont bien sûr toujours existé, mais ne font que s'accentuer chaque année depuis vingt ans, et sont davantage meurtriers.

Qu'en est-il de la vie en communauté ?

H.O.I : Les rôles sociaux entre les femmes, les hommes et les enfants ont complètement changé. Habituellement, les hommes conduisent le bétail au pâturage. Les garçons, vers sept ans, s'occupent des moutons, et les femmes du foyer. Ces tâches sont bien déterminées au sein de la communauté. Et chacun doit s'y tenir, sinon ça porte malheur. Mais aujourd'hui, avec les bouleversements climatiques, tout le monde s'entraide. On ne sait pas comment faire autrement ! Par exemple, avant de se déplacer, un homme est chargé de faire du repérage. Désormais, il sollicite l'avis des femmes, qui, très proches de la nature, sont les mieux placées pour savoir où s'installer. Par ailleurs, les femmes montent le campement avec l'aide des hommes, alors qu'à l'origine, elles seules s'en chargeaient. Il y a beaucoup plus de collaboration pour s'adapter au contexte.

Et les droits des femmes ?

H.O.I : La défense des droits des femmes se trouve au coeur de notre lutte contre le changement climatique. Pour avancer sur ces questions au sein de la communauté, nous organisons des ateliers d'échange entre femmes. Comme nous vivons dans une société patriarcale, nous nous adressons d'abord aux hommes pour pouvoir nous réunir. Ce sont d'ailleurs les bénévoles de l'association qui rapportent aux hommes les résultats de ces échanges, car ils ne se mélangent jamais aux femmes. Grâce à ces ateliers, beaucoup ont compris le rôle essentiel joué par les femmes dans la vie, mais aussi dans la survie de la communauté. C'est ainsi qu'elles gagnent leur place et qu'un respect mutuel s'instaure.

Quant aux décisionnaires, ils nous reçoivent sans difficulté, nous écoutent même, puisque nous ne représentons qu'une parole de femme ! Malgré tout, notre connaissance en tant qu'autochtones est redoutée. Depuis l'expérience en immersion avec les scientifiques, les femmes Mbororo sont considérées comme des femmes fortes, des combattantes. Les hommes politiques appellent même d'autres femmes à suivre notre exemple. Mais on se demande bien qui les en empêchent ! Car ces mêmes hommes estiment que les femmes ne sont que des objets qui leur appartiennent.

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