Des militaires et civils dans une parfaite symbiose lors d’une parade sur le boulevard du Général De Gaulle, célébrant l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, devant un parterre d’invités, notamment des chefs d’Etat et de gouvernement. Cette image à laquelle les Sénégalais sont devenus familiers ne sera pas au rendez-vous pour ce 4 avril 2011. Ainsi en ont décidé les autorités étatiques qui ont opté pour une prise d’armes à la place d’un défilé pour le 51e anniversaire de l’indépendance du Sénégal.
Et des faits corroborent cette option. En effet, à pareille époque, le boulevard du Général De Gaulle, communément appelé Allées du centenaire, commençait à faire peau neuve avec les arbres qu’on taillait, le marquage de la chaussée et surtout l’installation de la tribune officielle. Mieux, au niveau des écoles, les élèves étaient, tous les mercredis après midi, en train de répéter les cadences du défilé avec des instructeurs militaires.
Le moral des troupes et la situation tendue du pays ont joué
Officiellement, l’on évoque des contraintes budgétaires avec notamment les ponctions dans différents ministères pour alimenter le plan Takkal qui serait à l’origine de cette décision. Ce, au regard du coût du défilé qui nécessiterait plus d’un milliard de francs Cfa pour l’achat des tenues (des militaires comme des civils). Mais des raisons plus profondes sont soulevées. Il s’agit d’abord de la situation des hommes de troupe. En effet, chez les militaires, certains officiers expliquent que «les conditions d’un défilé ne sont pas réunies en ce moment». Selon eux, «le moral des troupes» qui est au plus bas en ce moment surtout avec la série de pertes en vies humaines dénombrées en Casamance, n’est pas propice à l’organisation d’une manifestation folklorique. En effet, une vingtaine de soldats ont perdu la vie dans des affrontements avec les rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). Sur ce sujet, le Chef d’Etat-major général des armées (Cemga), le Général Abdoulaye Fall déclarait lors d’une visite à Ziguinchor : «Nous avons perdu beaucoup d’hommes et de matériels par négligence».
A ce moral des troupes qui est au plus bas, il faut ajouter la situation de malaise et de tension ambiante dans laquelle se trouve actuellement le pays avec les difficiles conditions de vie des Sénégalais exacerbées par le manque chronique d’électricité qui débouche sur des émeutes récurrentes. Une situation davantage compliquée par la sortie du président Wade qualifiant les Sénégalais d’«intolérants» qui manifestent «au bout de 5 minutes de délestages».
LA DIRPA CONFIRME : «C’est une décision politique. Ce n’est pas une décision militaire»
La Direction de l'information et des relations publiques des armées (Dirpa) a confirmé que c’est bel et bien une prise d’armes qui se fera à la place de l’Indépendance le 4 avril prochain. Et ce, en lieu et place du défilé civilo-militaire, habituellement tenu à la Place de l’obélisque pour célébrer l’anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance.
L’instance en charge de la communication militaire a confirmé hier, qu’effectivement, le 51e anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance sera célébré par une sobre prise d’armes à la place de l’indépendance le 4 avril prochain.
«Effectivement, cette année, il n’y aura pas un défilé militaire. C’est ce qui a été arrêté ; juste une prise d’armes au niveau de la place de l’Indépendance», a indiqué l’officier adjoint de la Direction de l'information et des relations publiques des armées (Dirpa), le commandant Ndiodj Sène. Une prise d’armes qui exclut tout défilé civil, ajoute l’officier adjoint de la Dirpa : «Cette année, il n’y aura pas de défilé civil. Il n’y aura que les militaires et les paramilitaires qui défileront» renseigne l’homme de tenue.
Une décision qui, comme on pouvait s’y attendre, émane exclusivement des autorités politiques du pays, de l’Exécutif plus précisément : «C’est une décision politique. Ce n’est pas une décision militaire. Nous à notre niveau, c’est le politique qui nous commande. Et le défilé, c’est une décision qui nous vient du politique», affirme le commandant Ndiodj Sène.
Et contrairement au défilé civilo-militaire du 4 avril dernier qui fêtait le cinquantenaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, qui a vu quelque 20 chefs d’Etats et autres personnalités étrangères invités, il est fort probable que pour la prise d’armes de cette année, le nombre de conviés soit revu drastiquement à la baisse : «A ma connaissance, même s’il y a des invités, il n’y en aura pas beaucoup. Généralement quand il y a prise d’armes, il n’y a pas beaucoup d’invités. Ce sera une cérémonie sobre mais solennelle», affirme notre interlocuteur que nous avons joint hier au téléphone. Et dans les prochains jours, un document de presse, particulièrement un communiqué, sera rendu public par l’instance en charge de la communication militaire, la Dirpa, pour offrir d’amples informations sur la prise d’armes, conclut l’officier adjoint de la Dirpa, M Sène : «Nous avons décidé, pour la semaine prochaine, de faire un communiqué pour expliquer comment cela va se dérouler pour cette année».
C’est la troisième fois sous l’ère Wade
Une prise d’armes à la place d’un défilé civilo-militaires pour la fête d’indépendance du Sénégal, c’est la troisième fois que cela arrive sous le magistère du président Abdoulaye Wade. La première, c’était pour le défilé du 4 avril 2000, le premier pour le président fraîchement élu. Et l’armée avait justifié la prise d’armes par le fait que ses troupes avaient été mobilisées dans l’organisation matérielle des élections présidentielles de 2000. Et qu’entre le 19 mars et le 4 avril 2000, il leur était matériellement impossible de préparer comme il se devait la parade militaire.
La seconde prise d’armes a eu lieu en avril 2004 après que le chef de l’Etat, au plus fort de sa rivalité avec son Premier ministre Idrissa Seck, a décidé de délocaliser la fête d’indépendance initialement prévue à Thiès. Et la dernière, c’est pour la prochaine fête.
Il faut dire que le chef de l’Etat, lors de son discours du 3 avril 2001, s’était présenté en défenseur des défilés civilo-militaires. En effet, Me Wade avait même accusé Abdou Diouf, son prédécesseur, d’avoir dévalorisé «ce symbole de la République».
Bachir FOFANA & Youssouf SANE