Ingamadji Mujos Nemo dans sa cave-studio à Péronne. Aux murs, des dizaines d'affiches de concerts et coupures de presse...
Mujos Nemo Ingamadji est, depuis 20 ans, un citoyen péronnais discret. Il mène pourtant une trépidante carrière au Tchad, où il incarne le renouveau de la musique traditionnelle.
Un sourire éclatant, des yeux rieurs et une poignée de mains dans laquelle disparaît la vôtre. Vous ne connaissez pas encore Ingamadji Mujos Nemo mais vous avez noté, au premier coup d'œil, son souci de l'élégance.
Ses choix vestimentaires rappellent à la fois l'Afrique et l'Europe et, selon les circonstances, l'une prend le pas sur l'autre: chemise joyeuse ou costume sombre et cravate chic.
Ce n'est pas par goût des apparences que le musicien d'origine tchadienne affiche ses couleurs. Bien au contraire. C'est par respect des autres et de lui-même, une sorte d'exigence ou de discipline, déjà.
Depuis 20 ans, Mujos Nemo habite à Péronne, dans un discret pavillon dont le sous-sol est son antre. Pas de fenêtres dans cette pièce mais de grands horizons. Une large carte du monde, au mur, rappelle ses premiers pas en France en tant que topographe.
Les affiches de concert, les coupures de presse, les photos, elles, marquent la vie artistique rythmée par le dala, cette musique traditionnelle du sud du Tchad qu'Ingamadji a réhabilitée sur la scène africaine. Les deux ordinateurs débordent d'enregistrements, de vidéos et de projets de clips non encore exploités.
C'est à l'internat de son lycée technique industriel, à Sahr, au sud-est du Tchad, que Nemo commence à apprendre la guitare. Pas d'école ni de conservatoire, pas de partition... ni même d'instrument. « Le rythme est dans nos têtes... En Afrique, tu n'as pas besoin de payer pour apprendre», s'amuse l'auteur-compositeur aujourd'hui infirmier psychiatrique à Amiens. Sa première guitare, il se l'est offerte en France, en économisant sur sa bourse d'étudiant.
Pas question, pour le jeune homme arrivé en France en1986, de n'être qu'un musicien. Il s'est lancé un défi: tenter de vivre de sa musique mais rompre avec l'image qui, au Tchad, colle à la peau des artistes: celle de débauchés et de voyous. « Le salaire d'un musicien, croit-on, c'est l'alcool et les femmes», regrette Ingamadji, qui a tout fait pour s'insérer socialement.
Autre défi: faire sortir de l'anonymat la musique tchadienne et la libérer de l'emprise du Cameroun ou du Congo. « Le Tchad est un pays enclavé et nous avons du mal à valoriser nos richesses, au sens propre comme figuré», signale l'artiste, conscient qu'à travers la musique, c'est l'identité africaine qu'il défend.
Depuis trois ans, le guitariste s'était éclipsé, se consacrant à son activité professionnelle dans le milieu psychiatrique. En ce début d'année, il revient sur le devant de la scène, en éditant un DVD du concert anniversaire des 20 ans du jumelage de la ville de Poitiers avec sa commune natale, Moundou.
Enfin un premier concert à Péronne On y retrouve ses morceaux célèbres, dont un interprété avec sa fille, et un intéressant reportage sur les répétitions. L'actualité autour d'Ingamadji, c'est aussi le concert qu'il donnera à Péronne à l'espace Mac Orlan, le 21mai.
Ce sera une première pour Mujos Nemo dans sa ville d'adoption, où on ne l'a jamais entendu que dans de brèves prestations. «Les Tchadiens connaissent très bien Péronne mais les Péronnais n'ont pas encore beaucoup goûté à la musique du Tchad! Les choses changent...», note, sans amertume, celui que la critique internationale a surnommé « le pape du dala». Un apôtre, en somme.
ANNE DESPAGNE
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