Le poète et romancier tchadien Nimrod nous offre le luxe d’un voyage au pays natal dans lequel se déploient les trésors d’une riche écriture. Un éblouissant récit d’Afrique.
L’Or des rivières.
Il s’agit d’un retour au pays natal. Le narrateur qui dit «je» dans ce roman est en quête du temps perdu et cherche ses racines à tâtons dans un style éblouissant. Précision d’importance, c’est un récit d’Afrique qui passe par le protestantisme. En effet, le peuple dont est issu l’auteur, les Kimois, est ultraminoritaire au sein d’un Tchad de confession musulmane. Le père du narrateur, souvent absent, est pasteur de son état. Le narrateur qui souffre d’un «déficit d’image du père», aura appris au moins la rigueur, même s’il ne le fait jamais délibérément. Le mouvement du livre épouse le temps du retour.
Celui qui dit «je» revient à Chagoua, «le quartier où j’ai élu domicile depuis quarante ans, en dépit de l’exil. Un quartier où je ne vis que quelques jours par an et où la plupart des gens ignorent qui je suis. Je suis l’étranger capital»… Il se laisse envahir peu à peu par le pays concret. En parallèle ou à mesure s’effectue une véritable plongée dans son moi intime, rendue possible par les lieux mêmes de jadis foulés au présent. Le parcours va du présent matériel au passé rejoué sur la page, environné qu’il est par les deux figures tutélaires du père et de la mère. Un autre voyage s’inscrit dans ce voyage, quand sa mère lui donne pour mission d’aller dans un coin reculé du pays se recueillir sur la tombe de son père. Avant d’aller sur la trace du père, il a fallu rendre visite à la mère : «C’est ma mère qui invente ce pays (…) Ma mère incarne ce dénuement (…). Ma mère invente le Tchad.» Il réalise d’elle un portrait au physique comme au moral. «À son cou, une croix d’Augsbourg (…) soulignait sa foi luthérienne et la mémoire de mon pasteur de père mort voici quatre ans.» Il nous dit la distance conquise de haute lutte pour «l’aimer sans lui en vouloir» car «elle aimait nuire, elle ne savait pas pourquoi». Le chapitre «l’Or des rivières» constitue le pivot central du livre. Les premières phrases en sont : «Qui suis-je ? Ou plutôt, qui me hante ?» Le narrateur tente de rassembler ses souvenirs du père disparu.
La hantise de l’enfance effacée constitue le mobile premier de cette écriture d’un lyrisme sans cesse chatoyant. Nimrod nous livre ainsi une Afrique intensément subjective.
M.S. / de Nimrod/ Éditions Actes Sud, 126 pages, 13 euros.